lundi 30 novembre 2015

CATHARSIS DE CROCODILE



Les larmes ne coulent plus depuis bientôt mille ans… n’irriguent guère plus qu’un cœur prisonnier en dedans… se mélangent au sang, goutte à goutte, dans les veines… font des tours puis aux portes du voyant reviennent.

Les larmes ont séché dans les tissus d’enfance !… À presque trente ans, faudra-t-il une naissance ? , ou un deuil ? , pour que pleure à nouveau le dément… que des larmes s’évaporent en nuages d’argent…

­— Ô larmes traîtresses, abandonneuses d’âme ! , qui laissez sans chagrin un honnête frère d’armes ! , prenez garde d’abreuver le torrent de colère qui se déverse encore entre les os et la chair !

Les larmes s’entêtent et résistent au canon ! Elles sont dames du monde et non dames de raison ! — Une passe de poudre, de lumière, de fumée : sera-ce là votre prix mes catins raffinées ?

— Ô larmes, viendrez-vous me rejoindre dans la tombe ?… aux tréfonds des trépas ? , à la dernière seconde ?… Quand sera venu temps d’adoucir les peurs du fini, du néant, calmerez-vous la douleur ?

Les larmes ont coulé sur mes os bien mille ans… Inondé le cercueil ! , submergés les mordants ! — Ô larmes, compagnes, vous vous êtes rachetées..  en embaumant le cadavre de mon éternité.


(Extrait ELP, Les Recueils Négatifs, Recueil -I "Le Spectre et la Carapace" © OBPI/BBIE n° i-depot 062740)

lundi 23 novembre 2015

CYCLES TYPES I



Ah ces drôles de jours, lâché entre les pôles
Magnétiques… noirs, blancs… rouges selon les rôles
Que l’on joue malgré nous jusqu’aux pires nausées !…
Une aire d’aléas du levé au couché !…

Ah ces drôles de jours, les horribles jardins,
Qu’on traverse ­Nord-Sud, des forêts de sapins,
De rosiers épineux aux pieds de pâles saules
Qu’on cultive furieux, lacéré aux épaules !…
Ces drôles de jours d’heure en heure vieillissant…
Tous ces jours sans issue car toujours hésitant…
Où l’on songe à la nuit, à son prochain sommeil…
À l’équateur perdu, au pays des merveilles…

Ah ces drôles de jours, étrangement paisibles ! ,
Libres de cauchemars sous la paupière aride…
Deux ou trois clignements soyeux chassent le vide
De la nuit et découvrent le champ des possibles…
De tous les possibles ! , de toutes les saveurs !…
Du bonheur retrouvé pour au moins vingt-quatre heures !…
Un cœur ragaillardi, cicatrisé des schlass ;
Un visage enjoué de rires et grimaces ;
Des carnavals d’enfants bariolés de grimages,
Loin des tropiques, filent vers d’autres rivages…
Capricorne ? Cancer ? : les enfers d’autrefois !…
L’existant si léger en attraperait foi.

Ah ces drôles de jours, lâché entre les pôles
Magnétiques… noirs, blancs… rouges selon les rôles…




Notes :
Schlass : lames, couteaux


(Extrait ELP, Les Recueils Négatifs, Recueil -I "Le Spectre et la Carapace" © OBPI/BBIE n° i-depot 062740)
 

mercredi 18 novembre 2015

DRONE



I.

Là-bas, ils entendent le bruit qu’ici je n’en-
tends pas… Ils l’entendent ce bruit, car ils en ont
le temps… encore… Et il y’en a toujours pour en-
core en avoir… du temps… un peu… Leur bruit viendra.

Ici, cockpit Blockhaus, j’entends le bruit Wagner…
Les frappes walkyries bombardent la capsule,
ses parois, ses écrans… et avec elle, en soi

toute autre chose… : un certain savoir penser, une
façon de critique, abstraite, réelle… l’ins-
tinct qui dit « Capitule! »… et bien d’autres manières…


II.

Au début c’était différent, comme en arcade !…
aux jeux auxquels je jouais en vacances dans
les luna-parks, à la côte avec mes grands-pa-
rents… – En enfance, on n’y revient jamais qu’un temps…

Je m’en souviens : ce fut du Beethoven ! , aussi
cinglé qu’Alex DeLarge !… Alors ils ont changé
la musique, « Il n’y a pas de restart ici ! »…
J’ai dû m’y faire… je n’aime que la neuvième.


III.
  
Aujourd’hui, com Rudolph Franz Höss, je me dis sim-
plement que la mort est un métier… Être humain,
c’est soit être un jouet, soit l’enfant qui s’amuse… :

je suis le joujou qui tape… un hochet marteau
qui casse au sol du fer et de l’objet-cible ; d’an-
schluss en blitzkrieg, je rencontre mes objectifs…




Notes :
Alex DeLarge : personnage principal du film de Stanley Kubrick "A Clockwork Orange", sociopathe et ultra-violent
Rudolph Franz Höss : personnage principal du roman de Robert Merle "La mort est mon métier"

(Extrait ELP, Recueil I "Homme de Nulle Part", © L.F. Keenan, 2015, tous droits réservés)

 

mardi 17 novembre 2015

BONNET BLANC



« Ca va potau ?… p- potau, attends… ’tends, potau… :
j’ai faim !… », sa voix cassée, érodée, lèvres sèches,
martelées com un pêché, terre en Sahel… « Ah
j’ai rien à manger sur moi… désolé… », ma voix

pressée, mal à son aise… et même àl y m’en tape
encor cinq de ses doigts crevassés jusqu’aux ongles !…
C’est notre petit clochard, notre pauvre noir,
nègre pour beaucoup… faya aux réveils, piave

ses duffs mêm dans ses rêves les plus flous de cri-
ave en complet, menus et vins, vastes banquets…  
où Chaleur coule à flots et Mépris reste à quais..

et Zermi contre Vie est enfin en procès.
Voilà… c’est com aç tous les matins, fins de nuit
pour lui… moi je pars, fuis, instar la foule grasse…

lui il reste là, dans ses quartiers… à gester,
déambuler… à crier sa schizophrénie
à qui veut l’entendre..  un autrui pas d’ici.




Notes :
Potau : pote, ami ; Faya : ivre, défoncé ; Piave : bois ; Duff : bière ; Criave : mange ; Zermi : Misère ; Instar : à l'instar, comme ; Gester : faire des gestes erratiques

(Extrait ELP, Recueil I "Homme de Nulle Part", © L.F. Keenan, 2015, tous droits réservés)

lundi 16 novembre 2015

DES REGARDS




Tu me voiles ?… Moi je te vois !…
quadrillé certes, mais c’est bien
Toi !… Et par-delà la clôture,
l’azur est toujours loi, et pur.

Pourquoi par-delà la poitrine ? :
que mon visage se dévoile,
rien ne l’interdit… ta Sunna ? ,
ton hadîth ?… lis Ibn Qutayba ! ,

puis médite ces discordances !…
Rien mon frère n’est immuable ! :
ni ton regard… ni le mien..  ni
ton cœur converti à l’obscur !

Car au-delà de nos clôtures,
l’azur est toujours pur, et loi.
Tu me voiles ?… Moi je te vois !…
sombre certes..  mais je te vois !



Notes :
Hadîth : recueil comprenant l'ensemble des traditions communiquées oralement, relatives aux actes et aux paroles de Muhammad et de ses compagnons, considérées comme des principes de gouvernance personnelle et collective pour les musulmans. Contrairement au Coran, l’authenticité du hadîth fait toujours débat dans la doctrine coranique
Ibn Qutayba (828-889) : théologien, homme de lettres et polygraphe, auteur du “Traité des divergences du hadith”

(Extrait ELP, Recueil I "Homme de Nulle Part", © L.F. Keenan, 2015, tous droits réservés)